80 ans oblige, de nombreuses célébrations rappellent le débarquement allié en Normandie du 6 juin 1944. Le livre de Philippe Pussat, à partir de l’arrestation de son grand-père à Béganne, croise la grande Histoire et l’éclaire d’une certaine manière. Un livre coup de poing pour se souvenir des 7 résistants arrêtés les 14 et 17 juin 1944 et déportés.
Cactus : Comment débute votre quête pour la vérité sur la mort de votre grand-père ?
Philippe Pussat : J’avais 10 ans et nous habitions rue de la Rive à Redon. Pourquoi, je ne le sais pas, mais un jour, j’y ai découvert une plaque commémorative, en marbre dans mon souvenir. Le nom de mon grand-père, Edouard Pussat, y était inscrite, avec la mention « Ravensbrück ». A partir de ce jour, j’ai commencé à poser des questions à mon père, prénommé Edouard aussi. Cette plaque, que je n’ai jamais retrouvée, est restée à tout jamais gravée dans ma mémoire.
Cactus : Les questions à votre père n’ont pourtant pas suffi…
Philippe Pussat : C’est vrai. La discussion tournait court. Ce n’est pas que mon père refusait de raconter, mais il n’en était tout simplement pas capable. C’était sûrement trop douloureux pour lui ; il n’avait que 14 ans quand son père a été arrêté.
A partir de mes 32 ans, qui marquent le décès de mon père, je commence à m’intéresser à cette histoire de plus près. Je découvre le témoignage de la sœur de mon père dans un livre en 2004 (1) qui évoque la résistance à Béganne. Et 10 ans plus tard, un cousin me remet un carton plein de documents relatifs aux arrestations des 14 et 17 juin 1944.
Cactus : Les morceaux du puzzle se mettent en place avec une idée qui chemine en vous : vous êtes capable de mener l’enquête, compiler une somme importante d’informations, puis de les restituer pour faire œuvre de mémoire dîtes-vous. Vous commencez à écrire ce livre, exercice inédit pour vous, en 2020. Vous parlez même de légitimité. Pourquoi ?
Philippe Pussat : D’abord, ma famille est de Béganne, j’y ai vécu mon enfance. Cette histoire est donc la mienne. Et puis, j’ai beaucoup travaillé pour sortir ce livre, et ainsi comprendre ce qui est arrivé à mon grand-père. J’ai consulté de nombreuses archives de police et judiciaires (accessibles car le délai de 75 ans venait d’être dépassé), rencontré les protagonistes, voyagé même.
Mon livre parle de la résistance dans le canton d’Allaire et particulièrement de Béganne, du rôle joué par certains. Un sujet qui reste sensible 80 ans après les faits.
Cactus : Que s’est-il passé pour votre grand-père et pour les six autres résistants arrêtés ?
Philippe Pussat : Mon grand-père a été arrêté le 14 juin 1944 à Béganne et est mort au camp de concentration de Ravensbrück en Allemagne le 14 mai 1945, comme Honoré Dayon le 13 avril 1945 (il vivait à Rieux). Gustave Cheval (qui vivait à Rieux et travaillait sur la ferme de mon grand-père) est mort le 28 avril au camp de Sandbostel, en Allemagne. Il avait 22 ans. Eugène Renaudeau, d’Allaire, est arrêté, toujours le 14 juin, et meurt le 15 novembre 1944 au camp de Neuengamme. Le 17 juin, c’est au tour de Prosper, Aristide et Jean Thébault (deux frères et leur neveu), d’être arrêtés sur leur ferme de Plessis-Limur à Rieux. Le premier décédera au camp de Sandbostel, le second dès son retour en France. Jean sera le seul du groupe à survivre à sa déportation.
Le livre est à vendre à la librairie Libellune (grande rue, Redon), à la boutique La Marai (rue Notre-Dame, Redon), Mag Presse (Place de la république, Redon), Centre culturel Leclerc (St Nicolas de Redon), Intermarché CAP Nord et Maison de la presse CAP Nord (Redon).
« Je vais me faire tuer ! »*
Cactus : On aimerait expliquer les actions de résistance que votre grand-père a menées, le parcours que lui et ses camarades ont enduré jusqu’en Allemagne, votre enquête pour identifier l’inconnu de la carrière de Houssac à St-Vincent-sur-Oust (6 hommes y sont fusillés le 22 juin 1944), etc, mais le plus simple est de renvoyer à la lecture de votre livre. Concluons avec cette colère que vous exprimez face à certaines remarques que vous avez entendues sur les résistants…
Philippe Pussat : Certaines personnes pensent encore aujourd’hui que les résistants s’engageaient en connaissance des risques pris ! Sous-entendu : « ils l’ont cherché ! » C’est oublier que la résistance était organisée et que les résistants agissaient pour défendre des valeurs qui nous permettent de vivre dans la société actuelle.
Heureusement, la plupart des communes sont sensibles au devoir de mémoire que nous avons vis-à-vis des résistants. Rieux va ainsi baptiser une rue du nom de mon grand-père courant 2024 (C’est désormais chose faite, cf photo ci-dessous) avec la mention « Résistant déporté politique ». Il y a encore à faire mais, avec l’association « Mémoire des Résistant.e.s et Déporté.e.s des Pays de Redon et Vilaine », nous y travaillons. (2)
(*) « Je vais me faire tuer ! » est la phrase prononcée par Edouard, le grand-père de Philippe Pussat, à sa femme au moment de son arrestation. Ils ne reverront pas.
(1)« Pierre Régent, un combattant de l’ombre dans les bagnes nazis », de Laurent Guillet.
(2)Pour entrer en contact avec l’association : memoireresdep@gmail.com
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A retrouver dans le numéro de mai-juin 2024