Ce matin de juin, Christian Guémené, agriculteur à Saint-Just, scrute le ciel et attend l’eau qui sauvera ses cultures. Engagé dans un système de production de plus en plus autonome, il est en perpétuelle réflexion pour adapter sa ferme à cette donnée désormais incontournable : le climat change. Rencontre.

« Sans pluie, plus d’herbe ! C’est aussi simple que ça », s’exclame Christian Guémené, agriculteur dont la ferme des Noës se situe à cheval sur les communes de Saint-Just, Langon et Saint-Ganton. C’est peu dire que la sécheresse qui sévit l’inquiète.
Devant la parcelle où broutent ce matin-là les 45 vaches dont il tire le lait, Christian Guémené explique :
« S’il ne tombe pas d’eau dans les trois semaines, on n’aura plus d’herbe pour nourrir nos bêtes. Sur cette parcelle par exemple, je vais laisser les vaches trois jours, quand, à cette saison, je les laisse cinq à six jours normalement. »

Avec le système d’alimentation axée uniquement sur l’herbe, il faut organiser ce qu’on appelle « un pâturage tournant ». Les vaches restent quelques jours sur une parcelle avant d’en rejoindre une autre. Sachant qu’elles mangent directement dans les champs 10 mois sur 12 (80 % des 60 hectares de la ferme leur sont dédiés), il faut que l’herbe pousse normalement. Ce que contrarie la sécheresse actuelle bien entendu. Et, au nord du pays de Redon, on doit composer aussi avec un sol peu profond, fait de schiste, donc sans réserve d’eau.
Pas à l'abri d'années sèches
« S’il ne pleut pas rapidement, il faudra alors taper dans les stocks que j’ai constitués, surtout l’année dernière grâce à une année exceptionnelle. Et en dernier recours, je n’aurais pas d’autres choix que d’acheter de l’alimentation à l’extérieur. Ce que je cherche à éviter puisque mon objectif est d’être complètement autonome pour nourrir les animaux… » Le modèle économique de la ferme sera fragilisé. Et avec lui le revenu de l’agriculteur qui n’a pas d’autre levier que de diminuer son salaire quand les charges augmentent.

Depuis qu’il a pris la suite de la ferme familiale au départ en retraite de sa mère en 1994, l’agriculteur a entrepris un virage.
« Au début, je faisais du maïs, c’était un mode de production classique. Mais je voyais bien que j’allais dans le mur. J’étais dépendant des intrants (produits apportés de l’extérieur aux terres et aux cultures – note de la rédaction). Et, avec le type de sols que l’on a ici, je n’avais pas la garantie de produire ce qu’il fallait.
« Peu à peu, j’ai adapté les cultures au type de sol et je suis sorti d’un système où l’on se mord la queue : pour faire face à une augmentation des charges, on doit produire toujours plus. L’idée, c’était de faire mieux, pas plus. Avec d’autres, on s’est rendu compte qu’on se rapprochait par nos choix d’une agriculture bio. On a sauté le pas en convertissant nos fermes en 2001. »

Christian Guémené a ainsi adapté ses cultures et son cheptel, comme son organisation. Dans la parcelle où sont ses vaches ce jour-là, on observe plusieurs races : Pie noire bretonne, Montbéliarde, Jersiaise, Simmental et bientôt de la Brune des Alpes. Actuellement, elles ne seront traites qu’une seule fois, le matin, quand la norme est deux fois par jour. « Quand elles vêleront en septembre, elles auront plus de lait, je reviendrais alors à deux traites quotidiennes », explique Christian Guémené. Mais pour l’heure, elles ont besoin de moins produire de lait. Elles ont donc moins de besoin alimentaire. Ce qui tombe bien puisque l’herbe est moins abondante. Cette organisation peut devenir salutaire si la sécheresse s’amplifiait ou durait encore.
Des espèces capables de résister à + de 25°C
« Il s’agit bien de trouver des solutions pour moins consommer l’eau », souligne l’agriculteur. C’est dans ce même sens, et pour répondre à cette même nécessité que l’exploitant participe à un programme avec 10 autres fermes du sud du département, programme chapeauté par un ingénieur de l’INRA de Toulouse. Après avoir cartographié chacune des dix fermes pour prendre en compte la nature de leur sol, l’ingénieur propose de composer les prairies en fonction des types de production de chacun.
Dans une parcelle réservée surtout à la fauche (l’herbe non pâturée par les vaches sera coupée et enrubannée pour être conservée et consommée à certaines périodes), Christian Guémené est fier de montrer le mélange composé entre autres de trèfle, de luzerne et de plantain. « On doit trouver des espèces végétales qui sont capables de résister à des températures de plus de 25 degrés. Les prairies qu’on faisait auparavant ont du mal à tenir à 30 ou 35 degrés comme cela arrive maintenant ! »

Autre adaptation : la ferme des Noës compte désormais plusieurs parcelles coupées par des rangs d’arbres (l’agro-foresterie). « Ces lignes d’arbres plantés au milieu des champs permet de retenir l’eau au lieu qu’elle lessive la terre, explique Christian Guémené. Il y a 9 ans, on a planté 120 arbres sur une parcelle et il y a trois ans, on en a plantés 160. La présence de ces arbres permet de limiter tous les excès, de chaleur, de vent, d’excès d’eau comme de manque d’eau, de gel (sous un arbre, le sol gèle moins vite), de capter du carbone… sans parler des fruits (une partie des arbres sont des pommiers, des poiriers et des cerisiers), du bois qui sert à nous chauffer ou du bois d’oeuvre… Bien sûr, la croissance des arbres va à son rythme, mais je commence à déceler certaines choses. »

Dans le même registre (améliorer la biodiversité sur les lieux de culture), des haies bocagères ont été plantées (replantées plutôt). Christian évoque l’ombre que tous ces végétaux créent pour le bien-être de ses bêtes… sans oublier – et c’est en cela que son engagement est intéressant aussi- l’impact que cela a sur l’ensemble de la chaîne. « Quand il fait très chaud, les vaches s’entassent toutes dans les quelques zones d’ombre. Elles foulent et détériorent le sol, sur lequel l’herbe a plus de mal à repousser. »
Christian Guémené est invité à témoigner de son expérience dans le cadre des Rencontres du ruisseau. « 2 journées pour aborder la raréfaction de l’eau de façon culturelle, économique, scientifique, patrimoniale, ludique… Et surtout pour trouver des solutions ensemble ! »
Il interviendra au cours du débat gesticulé animé par l’Orange givré, dimanche 12 juin (15h-17h). Voir le programme complet plus bas.
Rencontres du ruisseau n°5 les 11 et 12 juin 2022

Retrouvez cet article dans le numéro de mai-juin 2022 !
Cet article vous a plu ? Partagez-le !